Nous poussons la porte, sur la droite de l’entrée, un vase énorme, une jarre, indique qu’ici on tourne, qu’on tourne parfois très gros même. De la jarre et des vases disposés dans le lieu jaillissent des bouquets de fleurs séchées confectionnés par Anaïs, sa compagne. Une enceinte distille du hip hop et fait écho à la moon jar graphée qui occupe une place de choix sur l’étagère. Ce sont bien là les deux seules touches urbaines de l’endroit, comme un rappel d’une vie passée qui relie celui qu’il fut à celui qu’il est. Un son qui semble dire que la jeunesse s’empare de ce métier ancestral et continue à le faire perdurer, évoluer.
De belles étagères épurées, mélange de fers à béton et de planches de bois massif, habillent un pan de mur et mettent en valeur les céramiques exposées. Tasses à café, carafes, saladiers, mugs, beurriers à eau, pots à crayon et théières aux courbes aussi dynamiques qu’épurées s’y côtoient. Chaque pièce est unique et maîtrisée, on sent que la main n’a pas tremblé, que la forme est pensée pour l’usage auquel elle est destinée.
Sur la table de battage qui occupe le centre de la pièce, nous attend le café, servi dans des tasses aux émaux jaunes, céladon et rouge de fer. Au-dessus des abat-jour en céramique sont suspendus, au-dessous sont stockés les pains de terre, le grès en provenance de chez Thierry Doublet artisan et préparateur de Terre. Pierre a fait le choix de travailler du grès provenant de France et d’utiliser des matières premières et des oxydes les moins impactants possibles pour l’environnement. Toutes les teintes que l’on retrouve dans ses émaux sont obtenues avec l’ajout d’un unique oxyde : le fer que l’on peut trouver un peu partout, oxyde non toxique. Les différentes couleurs allant du rouge au bleu de fer, du noir tirant sur le vert au jaune, nécessitent des centaines de tests en amont et une maîtrise de la cuisson en réduction au gaz. Chaque ouverture de four est une aventure. La place de la pièce dans le four selon qu’elle est située en bas ou en haut joue sur le résultat final laissant place aux surprises, aux découvertes.
Le bonhomme est soigné aussi, du haut de son mètre 90, un sourire franc porte une moustache qui lui vaut son surnom dans le Diois : « Stache ».
Le bonhomme est soigné aussi, du haut de son mètre 90, un sourire franc porte une moustache qui lui vaut son surnom dans le Diois : « Stache ». Yeux bleus et cheveux longs blonds attachés. Doigts fins, s’il n’avait pas choisi la terre, on aurait collé facilement un piano entre les mains du trentenaire.
Pourquoi « Ery » Céramique et pas « Kremer céramique » ? La question est lancée ; l’avant poterie surgit. Pierre explique que sa rencontre avec la terre n’a pas été immédiate, qu’avant d’apprendre à tourner il a étudié en école d’ingénieur en logistique et organisation industrielle et travaillé durant 3 années dans ce domaine. « Ery » est le surnom qu’on lui a donné en école, trait d’union d’une époque révolue qui respire peut-être tout de même encore un peu dans l’atelier tant la simplicité apparente et la propreté du lieu nécessite une organisation et un soin minutieux afin que la matière suive un Qui a eu la chance de voyager au long cours sait que les rencontres ouvrent les esprits et bousculent parfois les plans de vie.
C’est entre le Mexique et le Costa Rica que naît la vocation de Pierre et son envie de plonger les deux mains dans la Terre. Il rencontre « Fanor » qui l’invite dans son village de potier au Nicaragua. Pierre fait ses premiers essais sur un tour à pied, éloge à la lenteur, nécessitant l’économie du geste et la patience. En même temps qu’il découvre cet univers, rejaillit de son enfance cette phrase que ses parents se souviennent de l’avoir entendu prononcer, quand certains enfants se rêvaient en super héros, lui, aurait dit : « un jour je serai potier ». Le mythe raconte que ce fut à Dieulefit qu’il aurait été hypnotisé par le tour.
Dans un coin de l’atelier, un tour à pied est présent, des élèves viennent s’y exercer les mercredis après-midi. Si aujourd’hui Pierre travaille sur un tour électrique dernier cri, peut-être entend-il toujours Fanor lui dire : « Doucement, économie du geste et précision. » Sans doute aussi est-il bercé aujourd’hui par la céramique coréenne et japonaise dont les Moon Jars visibles dans son atelier sont emblématiques.
De retour en France, il intègre l’école de Notre-Dame de Gravenchon en Normandie et passe son CAP. Il fera de son professeur, Pierre Breteau, un ami, un exemple. Il aborde le tournage comme certains le sport de haut niveau, cherchant la perfection et ses limites. Il pense et vit poterie durant cette formation et en ressort avec un niveau bluffant.
Après ces présentations, il prend un pain de terre et commence à battre le grès, à le préparer. Il s’installe à son tour. Sur le côté, une table accueille ses outils : mirettes, estèques, éponges, trusquin, tout un assortiment d’outils spécifiques aux usages bien précis.
Il place 4 kg de grès au centre du tour. Masse conique qu’il faut apprivoiser, imaginer en pièce finie.
Le tour se met en route. D’abord il centre la matière d’un geste assuré, doux et ferme. Il perce la terre de ses doigts et l’écarte puis procède à la première « montée». La motte commence à prendre de la hauteur en même temps que sa tête se met à osciller de gauche à droite, concentré mais détendu. Deuxième puis troisième montée de terre. En quelques minutes un cylindre culmine à 50 cm de la « girelle ». La rotation du tour et de la terre qu’il humidifie régulièrement hypnotise. Pierre est concentré, affairé à la tâche. La main gauche commence à galber le cylindre de l’intérieur et un vase prend vie. Plus précisément le vase jaillit de la motte, la matière se tend, une courbe bien tendue se dessine et une forme parfaite apparaît. Il est rarement donné de pouvoir observer une telle précision de geste, une facilité un peu déconcertante pour qui s’est déjà plié à l’exercice. Un, puis deux, puis 3 vases sont tournés en quelques dizaines de minutes. Formes similaires, hauteurs quasi identiques, le tout à l’œil, sans avoir pesé ni mesuré la pièce, sans avoir douté, avec l’assurance de celui qui a déjà du métier et qui connaît les limites de la matière qu’il façonne.
Il nous explique qu’un temps de séchage sera nécessaire avant qu’il puisse « tournasser » ce vase. C’est-à-dire ôter de la matière avec des « mirettes » pour l’alléger, peaufiner la courbe. Le tournage en lui-même ne représente que 10% de son temps de travail. Il lui faudra ensuite surveiller le séchage, tournasser, cuire une première fois la pièce, préparer les émaux, émailler et recuire à 1280°C. Un travail au long cours qui nécessite une attention quotidienne.
Après cette expérience visuelle et sensorielle, c’est avec un regard nouveau qu’apparaissent les rondeurs des théières. Elles regroupent tout le savoir-faire d’un potier : tourner le corps, le couvercle et le bec, les ajuster, y ajouter une anse et s’assurer que le thé puisse s’écouler sans goutter…
La surprenante légèreté des carafes confirme la qualité du travail. Pierre aime les tourner, il peut pousser les limites de la terre, l’étirer au maximum pour l’alléger le plus possible. Ainsi son futur propriétaire prendra conscience du poids de l’eau dans nos vies. Je prends un mug en main, son galbe épouse ma paume, mon doigt se loge dans l’anse. Il deviendra mon compagnon du matin.
Nous quittons le 40 rue Emile Laurens conquis par le personnage et les poteries présentées en sachant que son atelier boutique est ouvert les mercredis et samedis, qu’on peut y suivre des cours pour s’initier ou se perfectionner au tournage le mercredi après-midi.
Le travail de Pierre est visible à Die, dans sa boutique, sur de nombreux marchés de potiers, dont celui de Die qui aura lieu le 7 août 2025, et sur instagram ery_ceramique.