Il y a, à Die, l’ancienne cimenterie Saint Eloi, dite aujourd’hui « la Griotte », qui rassemble un peu tout cela, où, dans ce qui aurait pu devenir une friche industrielle, se rassemblent aujourd’hui différents corps de métiers manuels, artisans, artistes et circassiens pour créer, donner vie à des idées, des objets, des fêtes, innover et adapter parfois, au goût du jour, des métiers qui traversent les époques.
Sous un soleil rasant de début de matinée, nous entrons sous ce vaste hangar ouvert aux vents en bord de Drôme, suivons les rails qui nous guident vers l’atelier qu’occupe aujourd’hui Camille Richard, coutelier forgeron qui officie sous le nom de Kanosak.
Nous poussons la grande porte vitrée, opacifiée par des années de labeur, de la cimenterie d’antan à la forge d’aujourd’hui. Brut, c’est ce qui vient à l’esprit quand on découvre l’univers dans lequel il gravite. Les occupants précédents ont laissé quelques roues de vélos, bidons, outils, échelles, lame de scie ou panier de basket, des vestiges qui rendent le lieu vivant, où les histoires d’avant gardent une place, où l’univers de la forge et de la coutellerie viennent désormais imprégner l’endroit, de la dalle de béton jusqu’au plafond arrondi qui culmine plusieurs mètres au-dessus.
Camille qui nous accueille sous des températures automnales, respire le vrai, lui aussi. Bonnet bleu vissé sur le crâne du quarantenaire, chaussures en cuir, jean et doudoune disparaissent sous un beau tablier de cuir élimé qui sent le labeur, le feu, la houille et le travail manuel.
Une sculpture posée dans un recoin de l’entrée annonce qu’ici, on frappe le fer sur l’enclume.
Camille partage son histoire volontiers : circassien de métier durant plus de vingt ans au sein de la compagnie lezartikal, il fait partie de ces personnes pour qui la période Covid a permis de faire maturer un besoin enfoui au fond d’une poche, comme le fut le couteau suisse ou l’opinel de son enfance.
La forge apparaît alors avec son « charbon de terre » et occupe une place centrale. Deux grosses enclumes lui font face, posées sur un billot de bois, entourées d’une rangée de marteaux posés à même le sol. Alignées près du foyer, des pinces conçues maison attendent de saisir le métal rougeoyant, car avant de devenir coutelier, c’est en forgeant ses propres outils qu’on devient forgeron.
Le regard s’habitue petit à petit, Camille arrête de désépaissir la lame sur laquelle il travaille, il arrête « l’émouture » nous dit-il, définissant ainsi le premier mot du métier que nous découvrons. Une lame d’un couteau dit « le Diois » qu’il a conçu en pensant aux bergers de notre vallée. Une lame robuste et tranchante qui coupera le saucisson ou taillera la branche du futur bâton qui les accompagnera lors de l’estive. Une lame qui d’emblée nous rappelle les montagnes qui nous entourent et sur laquelle sont sculptés le dôme et les crêtes du Glandasse, massif emblématique du Diois. Un couteau appelé à devenir « un couteau de pays ».
Camille partage son histoire volontiers : circassien de métier durant plus de vingt ans au sein de la compagnie lezartikal, il fait partie de ces personnes pour qui la période Covid a permis de faire maturer un besoin enfoui au fond d’une poche, comme le fut le couteau suisse ou l’opinel de son enfance. Besoin de se recentrer, de créer et donner vie à ce projet un peu fou : devenir coutelier. Il fut acrobate, grimpeur, cracheur de feu. Il souhaite garder le feu, potasse des livres techniques, regarde des vidéos, se renseigne et se lance, il y a 3 ans maintenant, dans le métier. Il est accueilli en formation et en stage chez Jean-Jacques Astier, une année pour mettre en pratique la théorie et s’assurer de son choix. Camille croit aux signes et aux croisées de chemins jalonnés de rencontres qui confortent les certitudes et lui apportent un outillage présent dans son atelier. De l’enclume aux polisseuses, c’est une histoire de transmission d’équipement entre couteliers qui s’opère. Ces outils anciens et robustes côtoient, dans son antre, d’autres plus récents comme un four de trempe électrique ou des schémas de couteau conçus informatiquement. Le tout confère au lieu une atmosphère authentique, sereine, durable et pratique.
Si quelques outils modernes entrent dans l’atelier, la part belle est faite aux trouvailles, à la récup’, aux dons et au bon sens pour la matière première. Ici des ressorts plats de camion en acier attendent d’être martelés pour devenir lame, là une caisse voit jaillir quelques bois de cerf pour de futurs manches, des touches de pianos fourniront l’ivoire et des pièces en bois d’essences variées attendent d’être marquetées et incrustées de cuivre ou de laiton.
Camille aime l’ébène, le bois d’amourette, leur couleur sombre fait ressortir le doré du cuivre et du laiton qui viennent rehausser les manches. Il aime également le noyer, bois de la région qu’il travaille avec plaisir.
Quelques lames sortent des tiroirs, forgées en acier, parfois damassées, elles nécessiteront un entretien par leurs futurs propriétaires, les reliant à l’objet, à l’attention qu’on porte à son couteau, au soin que l’on doit porter aux belles choses qui nous accompagnent tous les jours, à contresens de notre monde consumériste et du tout jetable.
Ces lames seront assemblées pour devenir des couteaux pliants, le dada de Camille. Il les aime car ils nécessitent un travail de précision. Chaque pièce, manche, plaquette, ressort, lame, incrustation est façonné dans son atelier. Cela nécessite une attention de chaque minute et une exigence qu’il s’est toujours fixée dans son travail. Véritables bijoux, sortis de leurs écrins, ces couteaux dénotent dans l’univers d’une forge. Comment d’un lieu si brut peut-on imaginer voir sortir de si délicats objets ?
Die a un coutelier d’exception en ses murs.
L’âme d’un tel couteau a un coût, celui des heures passées et de la sueur du coutelier. Camille étudie les demandes de fabrication sur mesure. Du couteau de cuisine santoku au pliant de poche, du couteau de pays « le Diois » au couteau d’office qui accompagne les repas, il prend plaisir à forger les envies qui n’attendent qu’une rencontre pour devenir le couteau d’une vie.
Si vous êtes curieux, marchez jusqu’à la Griotte et poussez les portes de la forge.
Ses couteaux sont également visibles dans la boutique collective d’artisan.e.s « Le 43 » au 43 rue Camille Buffardel à Die, ou sur son site : Couteaux Kanosak